Actualités de l'institut d'anthropologie clinique

Bernard Garaut - 31 août 2023

Debout sur le vent #8 – L’émoi

Les récits multiples entendus, partagés, générés, l’effet sur mon propre chaos de ce Dit tumultueux d’un autre,
la douloureuse beauté de leur langue singulière et le télescopage quasi permanent de nos imaginaires…

Le trouble éprouvé alors …quels recours !
La littérature, dans toutes ses formes et contenus, l’écriture, et surtout la poésie
le sont devenus.
D’abord sans le savoir.
Jusqu’à ce qu’alors je le décide.
Croiser dans un même élan,
les récits de vie,
les temps d’existence partagé-e-s
la poésie,
et l’élaboration avec tous les modes que m offraient tous ces éléments.
Tenter chaque fois de faire de l’inextricable, de l’incompréhensible, une façon
d’Etre ensemble. Là. Dans l’existence.

« …Humaniser la folie,

Désaliéner les lieux de soins… » claironnait  François Tosquelles !

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L’EMOI

…Dès qu’elle entrait elle
fracturait l’espace.
La porte s’ouvrait, tout
s’ouvrait. Elle transportait
avec elle le sublime. Dans
son tumulte, aucun effet
recherché. Elle était ce
tumulte. Alors !… tout se
déroulait, advenait, sans
excentricités.
Là.
Elle disait.
Tout.
Racontait. Sans filtres.
Sans fard…

Il a 10 ans.
Il pensait que c’était normal, çà.
La vie comme çà. Cette vie.
La liberté de dire, parler, crier, s’exclamer
à chaque étonnement de rire, la
solitude, nos solitudes exposées là, le sexe
à hautes voix, les odeurs, la folie, 
l’exubérance!…
Inhabituel pourtant dans sa famille !
Mais surgissant, sans que personne ne
s’en étonne.
Il tremblait de plaisir.
L’émotion au bord. Les sens en éveil.
Elle était là et il la savait.
Une odeur puissante. Des odeurs.
Cette poudre sucrée, du rouge à lèvres
écarlate, ses aisselles, pas
rasées… effluves !
Ses lèvres épaisses, charnues. Cette odeur
inconnue, il apprendra plus tard, le
sexe, le stupre…
Celle de l’essence de térébenthine de son
atelier de peintre, les pinceaux retenant
son chignon dégoulinants encore de
peinture.
Il était question de tout. Sans réserve.
Son mari son amant ses
amies, intellectuelles, cuisinières,
ouvrières, voisines, prostituées, avec qui
elle arrivait quelques fois…
Putain !!!
Pas de retenues.
Que de l’autre. Une injection
permanente.
Racontait Mozart, Vernon Sullivan, une
toile de Monet, Proust, Ferré. Même
qu’elle ne portait pas de culotte !

Il n’avait pas besoin de comprendre pour
savoir.
De savoir pour aimer.
Son tumulte n’avait d’égal que le sien.

Il lui offrira plus tard ce poème d’André
Du Bouchet :

…j’aime la hauteur
qu’en te parlant j’ai prise
sans avoir
    pied….

Non pas comme une dette mais une
reconnaissance intense de ces moments
où vivre et exister faisait front commun.

Il n’en perdait pas une miette et attendait
le moment où dans le même excès, elle
allait le quicher, le serrer contre ses
énormes seins.
Et là… il ne bougeait plus. Sentait bien
qu’il se passait quelque chose. Faisait
chaud au ventre coquin de sort !
L’odeur, encore, les formes, le moelleux…

Il se glissait dans cette ouverture.
                         Dans cette aventure.
De l’obscur à la clarté.

Pourquoi n’était ce possible que
lorsqu’elle était là ? …

La question de s’autoriser restera alors
pour lui comme une permanence.
L’émoi aussi.
A tenter de ne plus toujours, et de ne plus
jamais s’absenter comme s’il ne
s’agissait pas de lui.
Vivre en existant.  B.G.

                     « L’aventure n’est pas au-delà
des limites. L’aventure est ici même, dans
un quotidien qui ne s’oppose pas à elle. »
                                                  E. Guillevic